Loin des paillettes et du « show business », le footballeur champion du monde en 1998 est retourné vivre en Bretagne, sa région natale, pour vendre des piscines. Nous l’avons retrouvé.
C’est une journée comme une autre pour Stéphane Guivarc’h. Il arrive à son rendez-vous client à 11 heures, comme c’est noté dans son agenda. L’air de rien, il sort de sa Peugeot 5008. Sonne à la porte. Et se présente : « Bonjour, je suis Monsieur Guivarc’h, je viens pour la piscine ». Le contact se fait « en toute simplicité », « sans fioritures ». « Je ne voudrais pas qu’on me prenne pour quelqu’un de fier, à qui on doit tout. » Stéphane Guivarc’h assume, il a aujourd’hui 44 ans, et il est commercial dans la vie. « Il faut que les gens comprennent que le Guivarc’h footballeur pro, c’est du passé. »
Son nouveau travail consiste donc à vendre des piscines aux particuliers, « on propose des coques polyster, pas en béton ». Il fait le calcul : « On en vend une vingtaine par an ». C’est un ami d’enfance, Michel Tanguy, qui lui a proposé cette mission il y a quelques années. L’entreprise « Tanguy Piscines » emploie une quinzaine de personnes. Elle est basée à Trégunc, dans le sud du Finistère, entre Quimper et Lorient. L’ancien footballeur connaît bien le coin, il est né à Concarneau, « à quelques kilomètres de là ». Il a toute sa famille ici, et ses vrais amis. Après sa retraite professionnelle, il a même repris du service dans le club local, à l’US Trégunc. « J’ai été entraîneur pendant cinq saisons, puis je suis devenu président. Et là j’occupe le poste de vice-président. J’essaie d’aller aux matches tous les dimanches. »
En revanche, il ne tape plus dans le ballon. D’abord parce que Monsieur « commence à rouiller » (c’est son expression). Ensuite parce qu’il a un emploi du temps « de fou », répète-t-il. Il travaille six jours sur sept, commence tôt et finit tard. « Ma vie ressemble à celle de Monsieur Tout-le-monde. Je me lève le matin, je prends ma sacoche, je monte dans ma voiture de fonction, et j’avale les kilomètres ». 60 000 bornes par an, sur les routes du Finistère et « un peu » celles du Morbihan. Il va à Carhaix, puis part à Brest, puis il revient à Trégunc, puis repart à Carhaix. « Certains ont du mal à admettre qu’un champion du monde peut être un homme comme un autre. J’en suis pourtant un exemple vivant. »
Pour prouver ce retour à l’anonymat, il raconte que certains de ses clients ne le reconnaissent pas, « et ça ne me vexe pas du tout. Il suffit qu’il n’aime pas le foot… ». Mais en le poussant dans la conversation, il reconnaît que la plupart du temps, le rapprochement est quand même vite fait. « Je sens que les gens veulent me demander si je suis bien le Stéphane Guivarc’h qu’ils ont vu à la télé. Je les laisse faire. S’ils veulent parler football, aucun problème, je le fais. Mais ce n’est jamais moi qui amorce le sujet. »
Il lui arrive de rester deux heures chez des clients, et de ne parler que pendant une vingtaine de minutes de leur projet de piscine. Le reste du temps, ça papote ballon rond… Parmi les sujets inévitables, la victoire en coupe du monde en 1998, en France. « Ils me demandent de leur raconter l’ambiance de la finale, la foule des supporters massés tout au long du parcours entre Clairefontaine et le Stade de France. Ils veulent aussi savoir ce que j’ai ressenti lorsque j’ai soulevé la coupe. Je leur dis que je me sentais comme Maradona, une sorte de rêve de gosse qui devient réalité. » D’autres lui posent parfois des questions très précises sur des matches, des actions, des buts qu’il a pu marquer. « Moi-même je ne m’en souviens pas toujours très bien ! »
Bêtement, on lui demande si son nom est un atout pour vendre. Il sourit et lâche timidement : « Oui, je pense que ça aide. Commercialement, c’est un plus. Ça instaure un climat de confiance. » Mais il se reprend tout de suite : « Après, je sais de quoi je parle. Le produit, je le connais par cœur. Je ne suis surtout pas un faire-valoir ou un prétexte. J’ai suivi une formation pour apprendre le métier. Le client peut me poser n’importe quelle question, j’aurai la réponse. Je ne suis pas un imposteur. » Et on le croit vu la précision avec laquelle il parle de son « produit ». Il n’aimait pas perdre un match de foot, il n’aime pas perdre un contrat. « Dans le commerce comme au foot, tu n’as pas 15 000 occasions de marquer. Il faut être efficace. »
Il admet volontiers qu’il n’est pas « un grand nageur. Disons que je me débrouille, mais je n’aurai jamais pu avoir la carrière d’un Florent Manaudou ou d’un Yannick Agnel. D’ailleurs, ce ne sont pas des piscines olympiques que l’on fabrique. Les nôtres, ce sont des dix par quatre. » A force de l’écouter parler de son nouveau métier de commercial, on en oublierait presque qu’il a été sacré champion du monde un soir de juillet 1998. Qu’il fait partie de l’Equipe de France de football qui est montée sur le toit du monde, au même titre que Zidane, Barthez, Djorkaeff ou Petit. Il a encore des contacts avec certains Bleus de l’époque, mais il reconnaît qu’avec le temps les liens se sont distendus. « Ça fait quand même dix-sept ans, hein ! » Toute la bande se revoit lors des rassemblements réguliers. Il est resté proche de Laurent Blanc, de Bernard Diomède, des joueurs qu’il a côtoyés aussi en club, notamment à l’AJ Auxerre.
Il a conscience d’avoir pris un chemin inédit après sa carrière. Mais Stéphane Guivarc’h n’a aucun regret, il n’a jamais couru après la peopolisation. « Je vois que certains de l’équipe ont fait de la publicité, d’autres sont devenus des personnalités médiatiques. Je n’ai jamais rien demandé de tout cela. La télé, les soirées show-biz… franchement très peu pour moi. Là dans mon Finistère, je suis chez moi tous les soirs, j’ai une vie équilibrée, je suis avec mes amis, ma famille, des gens qui m’ont vu grandir, qui m’ont vu devenir footballeur professionnel, et qui m’ont vu me reconvertir comme commercial. Sans me juger, sans me faire la morale, sans me dire qu’il y avait mieux ailleurs pour moi. Des gens comme ça, tu en as combien dans une vie ? » Il décrit le plaisir que lui procure cette vie simple. « Je décide de tout ce que je veux faire. Je suis totalement libre. Tous mes camarades de France 98 ne peuvent pas en faire autant. »
Preuve ultime que Stéphane Guivarc’h est devenu quelqu’un presque comme tout le monde : son numéro de téléphone portable est marqué sur le site internet de l’entreprise. A la vue de tout le monde. Il raconte que des fans appellent parfois pour savoir si c’est vraiment lui. Il reçoit aussi des SMS. « Au bout du fil, certains me chantent « I will survive », notre hymne pendant la Coupe du Monde en 1998. Ça me fait rire. Je ne suis pourtant pas celui qui a le plus marqué la compétition. Je vous rappelle quand même que je suis le seul champion du monde à avoir perdu mon sac le soir de la finale ! Quelqu’un me l’a volé dans la soute du car. Je n’ai donc plus le maillot de l’Equipe de France que je portais ce jour-là. Si la personne qui l’a récupéré lit ce reportage, elle peut m’appeler, mon numéro est facile à trouver. »
Raphaël Godet
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